fbpx

Economie de rente : que se cache derrière le ralentissement de l’économie tunisienne ?

Economie de rente : que se cache derrière le ralentissement de l’économie tunisienne ?

Economie de rente : que se cache derrière le ralentissement de l’économie tunisienne ?

Le 8 avril 2022, un décret présidentiel a vu le jour. Il prévoit la suppression de 25 autorisations administratives relatives à certaines activités (la vente de tabac, la production d’auto-électricité, les bureaux de change,…)

Cette initiative nous place au cœur d’un sujet récurrent qui mérite d’être abordé : l’économie de rente.

Appréhension de la notion :

L’économie de rente renvoie à une économie monopolisée par une minorité d’acteurs économiques. Elle aboutit donc à la concentration de la richesse dans les mains d’une catégorie de personnes très restreinte. C’est une situation radicalement opposée à l’économie inclusive qui est caractérisée par une pluralité dynamique d’acteurs et qui permet à tous de percer, de produire et de rivaliser sur le marché.

D’une part, l’économie de rente est un « phénomène » multiforme. Ses manifestations sont diverses. Les autorisations administratives constituent un exemple illustratif en la matière.

C’est justement quand l’exercice de certaines activités, notamment dans les secteurs stratégiques(la vente de l’alcool, le transport, le tabac, l’importation..), passe obligatoirement par l’octroi d’une autorisation. Ce qui va conduire, par conséquent, à privilégier, par la voie de la réglementation, certains groupes économiques au détriment des autres.

D’ailleurs, ces autorisations permettent de déceler une particularité majeure de ce phénomène, à savoir son caractère « légal ». En fait, l’économie de rente, et à l’encontre de l’économie parallèle, par exemple, semble être favorisée, voire organisée par la loi et la réglementation “Certains auteurs parlent de lois restrictives et des contraintes tissées sur mesure aux services des plus puissants!”

D’autre part, l’économie de rente peut renvoyer à une situation de coalition entre politique et milieu d’affaires. En effet, le clientélisme politique semble, sensiblement, régir la question. 

En somme, il convient de dire que ce phénomène met une minorité de groupes économiques, notamment des cartels de familles, à l’abri de la concurrence, et ce, en leur accordant des privilèges de toutes formes ainsi que des opportunités d’affaires au détriment des autres acteurs concurrents (autorisations administratives, d’importation, facilité aux agréments, exonérations fiscales, facilité aux financements ; notamment l’octroi de prêts)

Cela est de nature à ralentir la croissance de l’ensemble de l’économie nationale, à fragiliser la concurrence et à générer des inégalités sociales significatives.

La Tunisie et l’économie de rente : 

Ce phénomène semble être enraciné dans le système économique tunisien, car bien avant l’indépendance, l’on constate déjà quelques pratiques anticoncurrentielles qui l’illustrent. Ensuite, au début des années 70 et juste à la fin de l’expérience collectiviste, des réseaux familiaux se sont également formés, dont la plupart font partie intégrante du paysage politique d’antan (députés, membres de gouvernement..)  

Toutefois, le système rentier a été largement renforcé sous le régime de Ben Ali. Certains parlent de structuration de ce phénomène, comme il y a d’autres qui soulignent carrément son institutionnalisation. 

Durant les années 1990-2000, l’Etat tunisien s’est orienté vers la constitution d’une élite économique ainsi qu’un arsenal législatif et réglementaire visant à verrouiller et préserver son cercle. L’objectif était de revitaliser l’économie tunisienne et de créer un environnement favorable aux investissements. Toutefois, au moment où il était une nécessité de libéraliser davantage le paysage économique pour l’adapter aux circonstances internationales, la Tunisie est allée à l’encontre de l’histoire. Les dirigeants d’antan ont maintenu mais aussi consolidé ce type d’économie. Il s’agit principalement de la famille Ben Ali, la famille Trabelsi et les composantes satellitaires qui ont monopolisé pratiquement l’intégralité des secteurs économiques (textile, les chaînes hôtelières, agroalimentaire, services logistiques…)

En effet, tout investisseur ou même un simple opérateur économique doit afficher sa pleine adhésion au régime afin qu’il puisse se situer dans la scène économique et produire de la richesse. En d’autres termes, tout est question de capitalisme de connivence, donc de coalition d’intérêts. 

Par ailleurs, un rapport divulgué par la banque mondiale, en 2013, montre que le pourcentage des autorisations liées aux secteurs monopolisés par le cartel « Ben ali et ses complices » est de 39 % tandis que les autres secteurs de l’économie, qui échappent relativement à leur monopole, présentent un pourcentage d’autorisation moins élevé qui est de 24%. Ceci est un indicateur qui révèle une situation de rente manifeste et qui met en relief également “l’enchevêtrement entre le milieu politique et le milieu affairiste”.

Enfin, après 2011, et jusqu’à maintenant, le phénomène demeure encore pesant. Alors que dans le temps, le cartel est bien cerné dans le nuage des activités économiques, aujourd’hui, on assiste à une prolifération sans précédent de ces acteurs tant dans le paysage économique que dans le paysage politique. Un rapport divulgué par la banque mondiale pointe le fait que 21% de l’économie tunisienne est sous le monopole d’une minorité d’acteurs économiques.  

En outre, les secteurs dans lesquels l’investissement est confronté aux restrictions réglementaires représentent actuellement près de 50% de l’économie tunisienne. 

Ce qui est interpellant, c’est que tous les chefs de gouvernement qui se sont succédés, ont pointé du doigt l’économie de rente sans pour autant passer à l’action pour une réforme économique radicale.  

Les manifestations de l’économie de rente :

Il suffit de se pencher sur le décret évoqué dans l’article précédent , mais aussi sur d’autres,  pour souligner l’existence d’une économie de rente. Nous nous sommes accordées à dire que les restrictions réglementaires, notamment telles que les autorisations administratives, dénotent de cette volonté de l’Etat, souvent implicite, de verrouiller certains secteurs stratégiques. 

Toutefois, il est important de souligner dans ce contexte, que l’autorisation administrative en elle-même ne présente pas un aspect négatif dans l’organisation de l’économie, mais c’est plutôt la manière de l’octroyer qui suscite des questionnements majeurs. Nous constatons clairement que, quand il est question de secteurs stratégiques, l’octroi des autorisations est de plus en plus sélectif. Comme il se trouve,également, lié à une réglementation particulièrement rigoureuse.

Il paraît évident qu’une telle situation arrange largement certains groupes, économiquement puissants, puisqu’ils auront moins de risque de se voir concurrencer. 

Bien que l’autorisation administrative parvient le mieux à caractériser ce phénomène, l’économie de rente peut se manifester sous d’autres formes.

Les cahiers de charges semblent aussi élargir l’ampleur de l’économie de rente de manière considérable. Il s’agit, par exemple, de l’exercice d’activité du transport de marchandises pour le compte d’autrui, pour lequel le cahier de charge impose la règle de 3 véhicules. Cette condition constitue déjà une barrière d’entrée qui mène à l’économie de rente, car remplir une telle condition n’est pas évident pour un jeune entrepreneur qui souhaite se lancer dans cette activité. Par la suite, cette contrainte colossale sera amplifiée dans la durée, en exigeant 18 véhicules au bout de 7 ans, sans quoi l’autorisation sera retirée. Ces conditions, difficilement justifiables, traduisent la volonté implicite de l’Etat à verrouiller le secteur en question. 

La filière de dattes est ponctuée par des contraintes similaires. Il suffit de s’attarder sur l’une des conditions d’exercice de la profession du collecteur des dattes, fixée par un arrêté du ministre de commerce pour se rendre compte, encore une fois, de l’existence d’une économie de rente. En effet l’article 23 de cet arrêté dispose que “ l’expérience des collecteurs des dattes est justifiée par une attestation délivrée par le groupement interprofessionnel des dattes. Cette attestation est attribuée en remplissant des conditions…”. 

Ce groupement interprofessionnel auquel l’article fait référence mobilise, en réalité, les acteurs les plus influents dans cette filière, et qui sont donc en même temps des farouches concurrents. La question qui se pose ainsi, comment un concurrent peut décider de l’accès ou non de son concurrent dans un marché commun ?

Quant au secteur bancaire, il n’est pas à l’abri de ce phénomène. Certains parlent d’un cartel des banques. Les répercussions économiques semblent évidentes sur ce niveau.

Il s’agit de faire bénéficier ces groupes des privilèges quant à l’accès aux crédits au détriment des autres acteurs économiques. Une facilité d’accès aux prêts mais aussi une pluralité de sources de financements puisqu’il est possible de trouver un seul groupe familial ayant des parts sociales dans plusieurs banques tunisiennes en même temps. Ces avantages concurrentiels engendrent, sans doute, des inégalités significatives.

Les petites et moyennes entreprises en sont des victimes parmi d’autres, puisque les groupes familiaux qui monopolisent le secteur bancaire, notamment par le biais de leurs actions, bloquent constamment toute initiative de financement au profit de cette catégorie ou de tout autre acteur concurrent. Il en résulte que des projets qui ne présentent aucune valeur ajoutée en matière de recherche ni d’innovation continuent à être financés rien que pour préserver la prospérité de cette élite économique. 

La médiocrité constante des services bancaires dans la plupart des banques tunisiennes est aussi un indice révélateur de non concurrence. Cette médiocrité affirme l’idée de monopole et laisse comprendre que si ces banques ne cherchent pas à améliorer la qualité des services proposés c’est parce que tout simplement elles ne subissent aucun risque de concurrence !

De même, des situations de monopoles peuvent facilement être soulevées dans l’industrie pharmaceutique tunisienne. Cette dernière, n’est pas, par ailleurs, épargnée de l’univers de la réglementation rigoureuse et des cahiers de charges.

Le marché de gros constitue un monopole étatique tout de même. Partant, l’Etat est aussi un rentier!

Nous pouvons, également, jeter la lumière sur les exonérations fiscales octroyées de manière sélective et non-transparente à une catégorie étroite d’opérateurs économiques. 

Enfin, L’UTICA, de sa part, participe activement à maintenir la configuration rentière. Cela se vérifie particulièrement au niveau de ses négociations avec l’Etat. Considérée comme un partenaire social depuis son institution en 1947, cette organisation patronale ne recule devant aucune occasion pour “faire passer ses caprices”. Elle ne cesse visiblement d’accumuler les privilèges de toutes formes pour une minorité de groupes familiaux afin d’assurer la pérennité de leurs affaires.

Les conséquences de l’économie de rente :

  • Mettre des verrous implicites dans l’économie : il s’agit d’empêcher l’émergence de nouveaux acteurs économiques qui vont, éventuellement, glisser dans la voie illégale. (l’économie parallèle…)
  • Un investissement non productif : il s’agit de bloquer la volonté d’investir, surtout au niveau des jeunes entrepreneurs qui doivent, à chaque fois, passer par le préalable des autorisations administratives pour la réalisation de quelconque projet
  • Les inégalités sociales : la création de la richesse est manifestement centrée autour d’une petite fraction de la société qui cumule donc une immense prospérité au détriment des autres membres de la population nationale
  • Une redistribution inégale de la richesse
  • Importer au lieu de produire, car ce type d’économie ne se distingue généralement jamais en termes d’innovation et de créativité.
  • Renforcement du chômage massif et endémique, étant donné que ce type d’économie ne favorise pas la création d’emplois. Bien au contraire, il ne fait que réduire le paysage économique à une minorité d’acteurs.
  • Freiner la transition économique.

Pour conclure, l’économie de rente présente un danger imminent pour l’économie de la Tunisie dans la mesure où elle entrave la concurrence, permet la concentration de la richesse dans les mains d’une minorité de groupes familiaux. Ainsi, ce phénomène vide le néolibéralisme de tout son sens. Il est plus qu’urgent, de limiter les situations de rente par des réformes radicales afin de rétablir une libre concurrence et garantir l’équilibre général du marché et plus largement l’efficience économique.

Facebook
Twitter
LinkedIn
Imprimer
Picture of Ahmed Zribi
Ahmed Zribi

La positivité est Contagieuse, partage la !

S'inscrire à notre Newsletter !

Recevez nos meilleurs articles et publication directement dans votre boîte mail d’une façon mensuelle.